Depuis 5 ans des médiateurs et médiatrices familiales, des structures conventionnées et libé- rales expérimentent la tentative de médiation familiale préalable obligatoire, aussi dénommée par son acronyme : TMFPO.
Pour évaluer l’impact de ce dispositif sur le développement de la médiation familiale, sur son exercice singulier et sur nos collaborations interprofessionnelles, un groupe de travail, com- posé de médiateurs et médiatrices a été mis en place par l’APMF1 dès 2017. Puis, en 2019, Nicolas LAURIOT DIT PREVOST, sociologue est venu nous accompagner pour cette évalua- tion et apporter son regard indépendant.
La réflexion présentée ici par 2 médiatrices familiales et leur directeur montre une nouvelle fois toute l’attention et la réflexion qui ont été menées pour que la médiation familiale conserve sa spécificité et son indépendance. Ainsi, comme l’accueil du conflit dans la médiation, l’accueil du dispositif, le dérangement et les tensions qu’il a provoqué ont pu être transformé pour concevoir à nouveau du sens au différentes étapes du processus de médiation.
La médiation familiale et plus largement la médiation offrent une réelle compétence à traverser les chaos...
Audrey RINGOT, vice-présidente de l’APMF
Fin 2017, le service « Espace Médiation » géré par l’association rennaise du même nom s’en- gageait dans l’expérimentation du dispositif de Tentative de Médiation Familiale Préalable Obligatoire (TMFPO).
L’équipe du service de médiation a pris le temps nécessaire au bilan d’étape : regarder le chemin parcouru, voir si les questions d’hier ont trouvé une réponse, si l’esprit de notre dé- marche d’aujourd’hui s’inscrit bien dans les fondements de notre cœur de métier, si nos ré- flexions contribueront à améliorer l’accompagnement des personnes.
Si ce retour d’expérience ne se veut pas exhaustif, il s’appréhende sans aucun doute par le prisme de la singularité que représente la médiation familiale.
La TMFPO a été instituée par l'article 7 de la loi dite de modernisation de la justice du 21 ème siècle. Il dispose : « A titre expérimental (...) les dispositions suivantes sont applicables, par dérogation à l'article 373-2-13 du code civil.
https://www.apmf.fr/rapport-devaluation-de-la-tmfpo-par-lapmf/
Les décisions fixant les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou la contribution à l'en- tretien et à l'éducation de l'enfant ainsi que les stipulations contenues dans la convention ho- mologuée peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande du ou des parents ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non.
Sous peine d'irrecevabilité que le juge peut soulever d'office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d'une tentative de médiation familiale, sauf :
1° Si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l'homologation d'une convention selon les modalités fixées à l'article 373-2-7 du code civil ;
2° Si l'absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;
3° Si des violences ont été commises2 par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant. »
Cette loi s’inscrit dans la continuité du mouvement amorcé par la justice depuis 2015 et la promotion des Modes de Règlement Alternatif des Conflits (MARD) qui a pour ambition d’éviter le recours systématique au juge quel que soit l'objet du litige.
Le service Espace Médiation a activement participé aux travaux préparatoires en s'engageant dès janvier 2017 auprès des partenaires locaux avec un triple objectif :
Nous proposons ici au lecteur d’exposer notre réflexion, de partager notre travail au travers du déploiement opérationnel, du cadre éthique et des questions de fond suscitées par l’expéri- mentation.
Quelle que soit le mode de sollicitation de notre service, il nous arrive de recevoir des personnes en situation de vulnérabilité (maladie, deuil, violences intrafamiliales, ...). Si le dispositif de médiation familiale n’est pas adapté dans ces situations, nous avons développé un accueil individualisé des personnes.
Nous l’avons écrit en amont (CF. partie 2, § La neutralité), nous pouvons délivrer l’attestation dite « CNR ». Celle-ci a pu être à certains moments détournée de son objet.
En effet, si les situations de violences conjugales et intrafamiliales sont dispensées de TMFPO, elles ne devraient pas arriver dans le service. Les personnes concernées devraient pouvoir faire valoir le droit à dispense directement auprès du Juge (CF. Note de bas de page n°1)
Or, il arrive que les personnes soient orientées vers le service de médiation pour obtenir une attestation qui peut être lue comme étant une preuve de violences conjugales.
Cependant, ces situations nous ont mis au travail et fait réfléchir quant aux modalités d’accompagnements des personnes déjà malmenées par la relation conjugale. Une mauvaise compréhension ou lecture des enjeux et objectifs de la TMFPO peut venir accentuer cela.
C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de prendre le temps d’accompagner les personnes en amont de la mise en place éventuelle d’une médiation, pour leur permettre de trouver les ressources nécessaires à leur soutien personnel et d’évaluer la pertinence ou non d’entamer une démarche de médiation
Dans un souci d’équité, nous avons choisi de toujours recevoir individuellement les deux personnes concernées en entretien d’information. Cette possibilité d’évaluer avec chacune si les conditions sont ou non réunies pour la mise en place d’une séance commune de médiation souligne de nouveau l‘exercice de la responsabilité des personnes et celle du médiateur à des endroits différents.
Les questions liées aux conditions non réunies ont par ailleurs permis d’échanger avec nos partenaires juridiques, d’entendre leurs points de vue, d’expliquer les nôtres.
Si l’indépendance du médiateur reste un des principes fondateurs de notre déontologie, l’évolution de l’exercice de médiation familiale nous amène à penser l’interdépendance, à sortir de l’entre soi pour participer au mouvement en cours de la résolution alternative des conflits. D’évidence, la médiation familiale ne se pose pas à la place de l’institution judiciaire mais à côté d’elle. A une place qui peut permettre à chacun d’exercer sa responsabilité.
La Loi s’inscrit dans un contexte où les séparations sont devenues plus fréquentes, les tribunaux étant débordés de personnes en situation de conflit, parfois ancien et même toujours chargé d’intensité.
En effet, les personnes qui arrivent en médiation par la TMFPO sont souvent très éloignées de la médiation. Elles découvrent parfois un autre univers et peuvent en parallèle être prises dans des conflits plus cristallisés.
Rassurés sur notre cadre d’intervention, nous avons donc cherché à développer et enrichir nos compétences, en nous penchant spécifiquement sur les « conflits de haute intensité ». Pour ce faire, nous avons organisé une conférence et une formation avec Damien D’URSEL5 en décembre 2019. Celles-ci nous ont permis d’approfondir des techniques que nous mettions parfois déjà en œuvre et d’acquérir de nouveaux outils.
Comme déjà évoqué, ce dispositif peut réactiver des blessures pour les personnes au parcours tourmenté. C’est un fait. Néanmoins, cela leur donne aussi l'occasion de transformer le regard qu'elles posent sur leurs parcours. Parcourir leur histoire conjugale et parentale, peut leur donner l'opportunité d'en modifier la lecture, de redonner du sens et par là même de regagner un peu de confiance. Les personnes exposées, plus ou moins durablement, à un conflit de forte intensité ont souvent besoin d'éléments de compréhension, de temps, pour trouver de nouvelles modalités relationnelles. Cela nécessite en même temps de faire le deuil d'une relation et par là même de restaurer son estime de soi.
Accompagnées par un médiateur familial disposant d'outils adaptés, les personnes peuvent envisager de transformer leurs conflits.
Lors d’un échange avec la vice-présidente de la chambre de la famille, nous avions partagé sur ce sentiment que, même sans accord, la médiation pouvait permettre un apaisement. Cet indicateur positif de la médiation familiale reste difficile à évaluer de manière objective. Et s’il est évalué par la CAF comme par la Justice, il n’en reste pas moins qu’il existe peu ou pas de littérature sur le sujet.
Nous avons donc décidé de nous mettre au travail, à partir des questions suivantes : - De quoi s’agit-il ? Comment caractériser « l'apaisement du conflit » ?
Aujourd’hui, cette question reste en travail. Nous avons commencé à réfléchir à cet item et convenu qu’il semblait plus juste de parler d’apaisement de la relation.
En effet, nous considérons que le conflit est inhérent à la relation humaine. Dans nos espaces de médiation, ce n'est pas tant l'objet du conflit que ses effets sur la relation conjugale, parentale, familiale, dont nous sommes témoins au quotidien.
https://www.med-ius.be/avocats-1/damien-d-ursel/
Notre spécificité est bien située à cette intersection : clarifier les sources du conflit, ses enjeux et ses impacts sur la relation.
Comment en travaillant sur l'un, les personnes agissent sur l'autre .... et réciproquement.
Ainsi, à l'image du processus défini par Thomas FIUTAK et illustré par "sa roue" nous avons repéré quatre temps.
Celui où nous avons "réagi" à l'annonce de ce qui nous était imposé et où nous avons été tentés de rejeter cette procédure qui pouvait apparaître comme très éloignée de notre éthique et de nos valeurs professionnelles. A ce moment-là, nous pouvions être en colère, irrités, avec le sentiment de ne pas être reconnus dans notre posture professionnelle.
Puis nous avons clarifié ce qui était essentiel pour nous. Nous nous sommes mis en mouvement, sommes passés "de la réaction à l’action », nous avons pu nous décaler d'une position (« pas de TMFPO !! ») pour aller vers les intérêts des personnes reçues.
Nous avons pu préserver l’accueil des personnes, le respect de leurs droits et notre intégrité, dans ce cadre-là.
Nous nous sommes questionnés, nous avons confronté nos points de vue, parfois avec véhémence, sûrs d'être "dans le vrai". Nous avons expérimenté, tenté, réajusté pour arriver à un "protocole d'accords", en équipe nous avons poursuivi la réflexion engagée.
Nous avions retrouvé de la confiance et de la sérénité.
Face à un problème complexe, les réponses sont complexes et multiples. En s'appropriant la procédure de TMFPO, l'équipe d'Espace Médiation a pu faire davantage de place au processus. Chiffres à l'appui, en début d'expérimentation, il était fréquent que seule la personne à l’initiative de la demande soit présente à la tentative puis, davantage de « personnes invitées » se sont déplacées et davantage de processus se sont engagés.
La communication a pu se renouer dans de nombreuses séances, même si des accords n'étaient pas trouvés.
Au-delà des incertitudes liées à la généralisation de ce dispositif et forts de cette expérience, nous pouvons aujourd'hui " relancer la roue" pour un nouveau tour de piste et mener un travail sur l'apaisement de la relation : notre « arène6 » reste celle de notre espace de travail où nous sommes désireux de toujours offrir un meilleur accueil aux personnes qui nous sollicitent à un moment troublé de leur histoire.
Auteurs :
Christine FROGER : Médiatrice Familiale à l’association « Espace Médiation – EPE35 » Virginie THOBY : Médiatrice Familiale à l’association « Espace Médiation – EPE35 » Sylvain VISEUR : Directeur de l’association « Espace Médiation – EPE35 »
Thomas FIUTAK, Le médiateur dans l’arène, Erès, collection Trajets, 2009.