Avec l'impartialité et la confidentialité, l'indépendance est un des fondements de notre code de déontologie. Avec mes collègues Sabine Sabatier et , nous avons contribué à la réflexion suivante : "agir l'indépendance dans son quotidien" paru dans la Revue Tiers n°29.
Christine FROGER
Sabine SABATIER
Zarina TOURRAUD
Médiatrices familiales DE
En partant d’une vignette clinique présentant une situation de médiation familiale, trois médiatrices de terrain nous exposent et analysent comment la question de l’indépendance est interpellée dans leur pratique de médiation, au quotidien, sur le terrain.
Le Doyen Cornu présente l’indépendance comme
« l’état de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel, qui ne se sent pas lié ou qui ne veut pas être soumis aux autres, qui ne se laisse pas influencer par ses appartenances politiques, religieuses, par des pressions extérieures ou par ses propres intérêts. Il ajoute que c’est la situation de celui qui n’est pas lié par un contrat de travail qui travaille pour son propres compte »
Il s’agit de vivre et faire vivre ce principe dans nos actes de médiations, dans notre posture de médiateur, d’en connaître le contenu, la nature même. Ce principe qui semble une évidence mérite cependant qu’on vienne l’interroger, le disséquer. Le principe d’indépendance n’existe que lorsqu’il est agi.
Il s’agit d’être en capacité de l’opposer, de s’autoriser à le porter, à le revendiquer, à le défendre tel un étendard. Il fonde notre identité propre, celle qui nous distingue d’autres professions et nous relie en même temps entre nous. Ce principe d’indépendance est certes une contrainte auxquels nous sommes, nous les médiateurs familiaux soumis mais c’est aussi notre FORCE. De ce principe, nous tirons notre crédibilité et la confiance que les personnes acceptent de nous accorder.
« Être indépendant cela s’apprend, cela se vit et cela se défend ».
Aussi, pour illustrer une façon de mettre en œuvre ce principe dans une pratique quotidienne nous vous proposons une vignette clinique
Une médiation ordonnée...
Le JAF désigne le service X et ordonne une médiation entre un père et son fils de 13ans.
La relation parentale reste très conflictuelle malgré une séparation déjà ancienne (4 ans).
Les deux enfants sont en résidence alternée. Deux jugements ont été nécessaires pour l'établir puisque le JAF avait d'abord statué sur une résidence dite "classique" selon la demande maternelle.
Le contexte de la médiation ordonnée :
Depuis la séparation, la mère vit seule avec ses deux fils. Depuis que le père a une compagne, les relations se sont dégradées avec l'aîné de ses fils.
Les changements de résidence sont de plus en plus difficiles, celui-ci reprochant à son père de ne pas lui accorder suffisamment de temps.
Lors d'un temps d'alternance, alors que le jeune fils est déjà dans la voiture, le fils aîné accompagné de sa mère, refuse de partir avec son père au prétexte que sa compagne est présente.
Le ton monte entre père et fils, la mère intervient, la conjointe également. S'ensuit un échange d’insultes entre les deux femmes et dans un moment paroxystique, le père gifle son fils. (Nous apprendrons plus tard que la mère enregistre la scène avec son téléphone portable).
Immédiatement, la mère emmène son fils à la gendarmerie pour y effectuer un dépôt de plainte.
A la suite, Madame dépose une nouvelle requête pour demander un changement de résidence "puisque mon fils (appelons le Gérald) ne veut plus aller chez son père" expliquera-t-elle à la médiatrice ;
C’est donc dans ce contexte particulièrement "explosif" que le juge ordonne une médiation entre le père et son enfant, sans mentionner la mère.
L'arrivée dans le service de médiation.
Il n'est pas question ici de discuter du bienfondé de la médiation parent/adolescent, même si cette question fait l'objet de nombreux débats dans le monde confiné des médiateurs familiaux DE.
(Et autre "porte d'entrée" pour le thème qui nous intéresse ici : comment faire valoir son indépendance quand un praticien exerce dans un service conventionné qui "impose" la pratique de la MF parents/adolescents alors qu'il y est lui-même opposé ?)
Le code civil stipule que l'autorité parentale est conjointe ce qui met les deux parents à égalité de droits et de devoirs vis à vis de leurs enfants. Ceux-ci peuvent être associés aux décisions qui les concernent sans pour autant pouvoir en assumer la responsabilité.
D'autre part, le dispositif de médiation familiale s'adresse à des personnes désireuses de transformer leur relation conflictuelle de façon à pouvoir élaborer ensemble de nouvelles modalités relationnelles, le plus souvent au bénéfice de leurs enfants.
C'est une démarche libre et volontaire qui requiert leur engagement.
La plupart du temps, lorsqu'une médiation s'engage entre un parent et son enfant, le processus prévoit une rencontre préalable entre les deux parents détenteurs de l’autorité parentale.
Si le professionnel est tenu à la neutralité, le dispositif de médiation est en lui-même moins neutre puisqu'il est né de l'idée partagée par des travailleurs sociaux, médico-sociaux, et/ou éducateurs, qu'une relation dégradée entre les parents aurait des effets néfastes sur les enfants2.
Ainsi si la médiation est possible entre parents et enfants, une communication très altérée entre les deux parents pourrait mettre l'enfant dans un conflit de loyauté potentiellement dangereux, au moins sur le plan psychique, pour lui. Comment dans ce cas présent, satisfaire à la demande du juge (et par extension d'un financeur), même si elle n'est pas conforme au processus en place ? C'est tout l'enjeu de notre principe d'indépendance. Dans ce cas précis, la médiatrice familiale concernée a d'abord reçu le père qui a pu exprimer ses ressentis ainsi que ses attentes, et auquel elle a expliqué les principes de la médiation et ses champs d'application : avec son ex-femme, il pouvait être question de clarifier les objets et enjeux du conflit, là où avec son fils, il pouvait s'agir de recontextualiser l’épisode de la gifle et restaurer du dialogue. En aucune façon, dans l'espace de médiation, le fils ne pourrait décider de se soustraire à la résidence alternée. Si tel devait être le cas, c'est parce que les deux parents y consentiraient, le père en ne portant pas plainte pour non-présentation d'enfant, la mère en continuant à l'associer aux décisions prises et en le maintenant au même niveau d’informations qu’elle. Dans un second temps, la mère de Gérald a contacté le service pour décliner l'invitation à venir en médiation puisque le juge avait ordonné une médiation entre père et fils et que par conséquent elle n'était "pas concernée ; c'est une histoire à régler entre eux, je n'ai rien à me reprocher et rien à dire à mon ex-mari. Son comportement est inadmissible, moi je n'ai jamais levé la main sur mes enfants". Pourtant, au téléphone, la médiatrice a tenu sa position : selon la procédure du service et malgré les termes de l'ordonnance, elle ne mettrait pas en place la médiation sans que toutes les personnes concernées par cet épisode de conflit intra familial aient reçu une information à la médiation. Il s'agissait pour la médiatrice, d'inscrire chacun dans ses places et responsabilités. La mère de Gérald a insisté pour se soustraire à cet échange, de même que son père qui était désireux et "pressé" de rencontrer son fils en médiation à défaut de pouvoir restaurer du lien en dehors de cet espace. Madame x a même pris conseil auprès de son avocat pour vérifier que "la médiatrice était bien dans son droit". Lorsqu'elle s'est présentée, elle a indiqué qu'elle venait parce qu'elle y était "obligée mais qu'elle n'était vraiment pas concernée par cette histoire". Pourtant, en entretien d'informations, elle a entendu les propos de la médiatrice (la possibilité pour le couple parental de travailler sur le conflit relationnel non réglé depuis la séparation, distinguer les fonctions parentales, dégager Gérald et son frère d'un conflit qui ne leur appartient pas).
Bien que très réticente et résistante, elle a pu convenir après quelques semaines de réflexion, de sa part active dans la dégradation du lien père/fils, même de façon non volontaire.
Sa tristesse et son chagrin dont elle rendait ses enfants témoins, des propos disqualifiant tenus vis à vis du père, qu'elle pouvait tenir auprès de ses fils ont pu contribuer au délitement du lien filial ; Sans la posture ferme de la médiatrice, Madame X n'aurait pas eu à se confronter à ses responsabilités.
Gérald a également été reçu : il a bien compris, du haut de ses 13 ans, que cet espace lui permettait non pas de "faire le procès de son père" mais bien, là aussi, de contextualiser l'épisode de la gifle et mettre du tiers dans ce qui se passe entre eux deux. Adresser un message à son père signifie également entendre le message paternel et co-construire de nouvelles modalités relationnelles en fonction de ce qui est respectueux des besoins de chacun.
Et l'indépendance dans tout ça ?
L'indépendance pour le Médiateur familial diplômé d'État, c'est la garantie qu'il offre aux personnes de pouvoir refuser un processus de médiation s'il évalue que les conditions ne sont pas réunies pour les accompagner dans de bonnes conditions. C'est aussi la garantie de pouvoir refuser de mettre en place une médiation, même si elle est ordonnée par un juge.
L'indépendance au même titre que la confidentialité permet la confiance et la crédibilité de notre profession. : les personnes reçues comprennent que la posture du médiateur familial respecte leurs besoins singuliers, dans une situation donnée, à un moment donné. C'est l'ici et maintenant de l'espace de médiation.
Cette ordonnance a permis de repréciser, auprès du JAF concerné, la procédure à l'œuvre dans le service désigné. Une meilleure interconnaissance des pratiques de chacun permet un partenariat ajusté. La médiation familiale a toujours besoin d'être promue, ce fut une occasion de le faire.
Mettre en œuvre la médiation, telle que mentionnée, aurait été à l'encontre de la pratique exercée. Surtout, elle aurait supposé que la praticienne modifie son cadre de travail non pas pour s'ajuster aux besoins des personnes mais à la prescription d'un partenaire.
Certains magistrats ont eu connaissance très claire du dispositif et de la déontologie du médiateur familial, d’autres le considère comme l’exécutant d’une mission...
Ainsi et par exemple, il peut arriver que des juges des enfants ordonnent une médiation familiale en prévenant les parents que s’ils ne réalisent pas cette médiation leur enfant sera placé. Enfin, nous ne pouvons passer sous silence cette pratique qu’est la TMFPO. Des médiateurs nous ont fait part de leurs difficultés à nommer aux JAF l’impossibilité de mettre en œuvre la médiation familiale. Le médiateur se retrouve contraint de mettre en place la tentative alors qu’en son âme et conscience, les conditions ne sont pas réunies.
Après avoir interrogé quelques médiateurs familiaux sur cette notion d’indépendance, il ressort que pour nombre d’entre eux, il apparait difficile de vivre et faire vivre cette indépendance au quotidien notamment lorsque le médiateur exerce en qualité de salarié. « On n’est pas complètement indépendant quand on est salarié » ou bien « on ne peut pas être indépendant dans une structure »
Les médiateurs illustrent leurs propos par l’obligation dans certaines structures de recourir à la médiation par visio-conférence alors qu’ils n’adhèrent pas à cette pratique. Pour d’autres, l’absence d’indépendance s’inscrit dans le fait de devoir réaliser des médiations parents- adolescents alors qu’ils n’y souscrivent pas, cette pratique leur semblant contraire, à certains égards, aux principes même de la médiation familiale.
Enfin, certains évoquent la pression économique : « il faut faire des médiations à tout prix ». Certains médiateurs évoquent une véritable difficulté à concilier leur indépendance et des positions de service. Notre enquête auprès de quelques médiateurs tend à mettre en évidence une certaine confusion, assimilation des notions de liberté et d’indépendance.
Pour certains, « l’indépendance s’inscrit dans l’espace huis clos de la séance de médiation. » Interrogés sur l’indépendance, certains médiateurs dérivent très vite sur les autres principes que sont la neutralité et l’impartialité et éprouvent des difficultés à expliciter comment ils vivent et ils font vivre ce principe au cœur de leur pratique.
L’hypothèse que nous dégageons est que ce principe reste difficile à mettre en œuvre pour le médiateur salarié d’une structure ce qui rejoindrait l’affirmation du Doyen Cornu : « pas d’indépendance si lien de subordination » Dans tous les cas, nous pouvons distinguer deux types d’indépendance, l’indépendance vis- à-vis des personnes dans l’espace de médiation et l’indépendance par rapport aux institutions.
En étant indépendant le médiateur s’oblige. En étant libre, il se délie de toute contrainte. Son indépendance signifie qu’il doit se contraindre à la mise en place et au respect strict du cadre de la médiation. Son espace est un espace de liberté pour les personnes qu’il accompagne mais lui est contraint de respecter les règles du processus et le cadre de la loi.
L’indépendance du Médiateur n’est pas de s’affranchir des règles mais il s’agit bien de les respecter. Sa seule force, son seul pouvoir de décision est de refuser de mettre en œuvre une médiation, s’il ne lui est pas possible de respecter sa déontologie. Il se doit alors de le signifier et de refuser la mise en œuvre ou la poursuite de la médiation. D’ailleurs, dans le code de procédure civile cette indépendance du médiateur est reconnuepuisque le médiateur peut décider d’accepter ou non une médiation.
« Dès le prononcé de la décision désignant le médiateur, le greffe de la juridiction en notifie copie par lettre simple aux parties et au médiateur. Le médiateur fait connaître sans délai au juge son acceptation. Dès qu'il est informé par le greffe de la consignation, il doit convoquer les parties. (Article 131-7 du code procédure civile)
Conclusion
Cet écrit nous a permis de mieux appréhender ce principe déontologique. Nous avons mis en lumière la distinction entre l’indépendance et la liberté. Nous avons saisi que l’indépendance constitue une obligation, un devoir incontournable pour le médiateur familial.
Mais, nous avons également mis en lumière la difficulté de sa mise en œuvre dans notre quotidien de médiateur notamment pour les médiateurs salariés. En tout état de cause, nous avons compris aujourd’hui peut être plus qu’hier que c’est de ce principe que nous tirons notre force et l’honneur de notre métier.
C’est parce que nous sommes indépendants que nous sommes médiateurs. Quoiqu'il en soit, affirmer son indépendance, c'est respecter les personnes qui nous sollicitent et respecter les engagements que nous avons pris en choisissant ce métier.
Plutôt que de renier ce principe fondateur pour continuer à exister, faisons de ce principe d’indépendance le 1er de nos principes.
Cornu, vocabulaire juridique PUF 2014. Gérard Cornu (1926-2007) fut professeur à l’université de Paris Panthéon-Assas et doyen de la Faculté de droit de Poitiers. La première édition de ce dictionnaire a été couronnée par l’Académie des sciences morales et politiques et par l’Académie française.13 e édition mise à jour.
Voir note du CESE d'avril 2017 : les conséquences des séparations parentales sur l'enfant.