Ou comment ce dispositif testé dans onze juridictions vient questionner les fondements de notre pratique professionnelle ?
Depuis quelques six mois, les onze juridictions qui expérimentent la Tentative de Médiation Familiale Préalable Obligatoire (TMFPO) connaissent des réalités différentes, en fonction des partenariats locaux d’une part, des postes dégagés et financés pour l’expérimentation d’autre part. Il ne s’agit, pas, ici, de témoigner d’« une » pratique, mais de questionner les fondements de la Médiation Familiale au regard de cette expérimentation, à ses débuts.
Il s’agit essentiellement de :
Le domaine familial n’étant pas exempt de cette tendance, L’expérimentation de la Tentative de MFPO, prévue jusqu’en décembre 2019, devrait permettre de vérifier des hypothèses….dont nous ignorons tout actuellement. C’est la raison pour laquelle, nous médiateurs familiaux Diplômés d'Etat (D.E.), sommes inquiets et vigilants : qui mène l’étude, sur quels critères d’observation et d’évaluation ? Nous, titulaires du D.E et praticiens de la médiation familiale, souhaitons poser les questions qui nous préoccupent : la Tentative de Médiation Familiale Préalable Obligatoire peut être pratiquée par d’autres professionnels du droit (notaires huissiers et avocats) à condition de justifier d’une formation en médiation. De quelle pratique de la médiation familiale parle-t-on en TMFPO ? Nous repérons déjà des différences importantes entre un processus de médiation conventionnelle et un processus de médiation ordonnée. L’expérience de la double convocation a montré ses limites. La médiation familiale telle que nous l’entendons peut-elle s’accommoder du caractère « Obligatoire » de la tentative de médiation ? Autant de questions que cet article aborde.
La TMFPO en quelques mots.
LOI n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle
Larousse : expérimentation = Méthode scientifique reposant sur l'expérience et l'observation contrôlée pour vérifier des hypothèses.
Pour qui : tout parent désireux de modifier des dispositions prises dans un précédent jugement concernant les décisions relatives à l’autorité parentale, la résidence de l’enfant, la Contribution à l’Entretien et à l’Education de l’Enfant. Les cas de dispense sont essentiellement liés aux situations de violences conjugales. La distance géographique ou la maladie sont des motifs laissés à l’appréciation du juge. Par qui : Les médiateurs familiaux D.E, les notaires, huissiers et avocats- médiateurs qui ont signé une convention avec le Tribunal de Grande Instance (TGI) dont ils « ressortent ». Les modalités : Le parent qui porte la demande devient le demandeur, l’autre parent le défendeur. C’est au demandeur qu’il appartient de faire la preuve qu’il a bien respecté la procédure en fournissant une attestation de tentative de médiation délivrée par le médiateur familial D.E ou autre professionnel juridique. Ce lexique est assez éloigné de celui habituellement utilisé dans les services de médiation et nous entendons bien comment la procédure pourrait venir piétiner le processus…si nous n’y sommes pas attentifs. Celui qui porte la demande reçoit d‘abord un entretien d’information, gratuit, au cours duquel il expose le contexte dans lequel il se trouve, selon lui, et reçoit une information à la fois sur la médiation familiale mais aussi sur la Tentative de MFPO. Ainsi, c’est le médiateur familial qui se retrouve dans l’obligation d’informer sur une démarche purement juridique, jusqu’à notifier la possibilité, pour la personne reçue, d’être accompagnée de son avocat. Ou comment la libre adhésion et la démarche volontaire se retrouvent mise en cause… Dans un second temps, il s’agit de vérifier comment la personne reçue envisage de solliciter l’autre parent ; il n’est pas rare, d’après les retours des professionnels, que ce soit le médiateur, en invitant l’autre parent, qui l’informe en même temps de la procédure : difficile d’engager un apaisement du conflit dans ces conditions… Ou comment l’Esprit de la médiation est écorné… Le défendeur dispose alors de deux semaines pour répondre à l’invitation. Qu’il reçoive ou pas une information, qu’il adhère ou pas à la proposition, le médiateur est dans l’obligation d’adresser une « convocation » aux deux parties pour organiser le rendez-vous de tentative de MFPO, puisque c’est cela qui s’impose au demandeur pour que sa requête soit prise en compte. Par contre, le défendeur qui, lui, n’a pas « d’obligation » à être présent, peut ne pas venir. Auquel cas le médiateur délivre tout de même une attestation de tentative de médiation, avec la mention « en l’absence d’une partie » comme dans les médiations ordonnées. Si les deux personnes sont présentes, à l’issue de cette séance commune, elles peuvent décider, en conscience, d’adhérer au processus de médiation tel qu’il est pratiqué par les professionnels D.E. A l’inverse, le médiateur peut aussi constater l’impossibilité pour les personnes d’apaiser leur relation auquel cas le processus ne s’engagera pas. Dans les deux hypothèses, poursuite ou pas en Médiation Familiale, le médiateur délivre une attestation qui permet au demandeur de déposer sa requête le cas échéant. (NB : seule l’attestation de TMFPO est indispensable au dépôt de la requête. Les pratiques divergent dans les services de Médiation Familiale conventionnés ou pas : certains délivrent des attestations dès l’entretien d’info, d’autre pas).
Cf sur le site de l’APMF, les modèles réfléchis et proposés par les référents TMFPO (un pour chaque juridiction concernée par l’expérimentation).
En cas d’accords élaborés, les parents peuvent alors demander l’homologation de leur convention parentale par le Juge aux Affaires Familiales (JAF) qui peut décider de ne pas les recevoir, c’est l’homologation sans audience, article 1143. Le coût : pour les personnes reçues, les barèmes s’appliquent comme pour les médiations conventionnelles, avec possibilité de l’aide juridictionnelle comme pour les médiations ordonnées. Pour les services conventionnés, c’est plus complexe puisque, à ce jour, cette expérimentation ne semble pas financée par la prestation de service. Les financements varient en fonction des TGI mais quoiqu’il en soit, les services doivent faire face à une surcharge de travail, notamment administrative, entrainant des conditions de travail dégradées et risquant à termes d’impacter la santé des services et la disponiblité des professionnels pour les personnes reçues en médiation…
Faut-il faire rimer Obligation et Médiation ?
De nombreux professionnels D.E. insistent sur la capacité des personnes à se déterminer elles-mêmes, sur l’intérêt de la médiation familiale de leur offrir l’espace, le temps, le lieu de construire elles-mêmes leurs accords. Parmi les stagiaires reçus dans notre service, notamment les éducateurs spécialisés, nombreux sont ceux qui se tournent vers cette pratique parce qu’elle permet justement un cadre qui laisse aux personnes la liberté de s’engager et de construire leurs solutions, en dehors de toutes institutions, de toutes contraintes sociales et juridiques. Alors, La TMFP Obligatoire nous ferait-elle perdre nos repères ? Comment se conformer à la loi ET respecter notre code de déontologie « démarche libre et volontaire » ? Le professionnel se retrouve en situation de conflit…interne.
Mais il peut aussi :
Nous pouvons, voire nous devons, nous souvenir que l’expérimentation rend « la tentative » obligatoire, pas le processus de médiation. Il appartient donc au médiateur familial D.E. d’organiser les conditions d’une rencontre avec deux personnes, parents d’un ou plusieurs enfants à qui la loi fait l’obligation de rester parents ensemble malgré la séparation. Nous touchons alors le deuxième reproche adressé à cette expérimentation : le médiateur familial D.E. deviendrait un « auxiliaire de justice », « un distributeur d’attestation ». Si il est juste que les services enregistrent de nombreuses demandes et délivrent de nombreuses attestations, est-ce suffisant pour ne pas s’inscrire dans le dispositif et laisser la place aux seuls acteurs du monde juridiquo-judiciaire qui ne feront pas ce travail précis, complexe, singulier sur la prise en compte de chaque personne reçue ? Ce travail qui permet la rencontre en espace de médiation, l’inter- reconnaissance, l’altérité ? Ce travail qui permet réellement l’apaisement du conflit, au bénéfice des enfants ?
Car si nous repérons aisément les risques liés à « l’obligation », quels seraient ceux de déserter cette expérimentation au regard de notre profession déjà menacée ?
La TMFPO, une chance pour la médiation ?
Certains professionnels, dont je suis, ont fait le choix, libre et éclairé, de participer à cette expérimentation dans un souci de faire valoir notre spécificité et continuer de proposer aux personnes reçues une véritable alternative à la justice, la médiation familiale.
Article 1143 du code de procédure civile.
Pour autant, ce dispositif a ses contraintes et sans doute nous faut-il avoir plus de recul pour affiner notre analyse de ses répercussions. Sous l’égide de l’APMF, la FENAMEF et l’UNAF, les médiateurs familiaux D.E. concernés par la TMFPO étaient invités à se réunir à Paris le19 janvier 2018 pour faire part de leurs premières observations après un semestre d’expérimentation. Le tableau ci-dessous reprend les aspects positifs et négatifs le plus souvent soulevés par les professionnels.
LA TMFPO : | Aspects positifs | Aspects négatifs |
---|---|---|
Opportunité de connaître la MF pour les personnes. | L’expérimentation sème la confusion sur le processus de médiation familiale et en « piétine » l’essence en la rendant obligatoire. Assimilation médiation/conciliation. | |
Promotion de la MF auprès des acteurs du monde judiciaire. | Perte du sens du DE puisque notaires, huissiers et avocats peuvent pratiquer cette tentative de médiation sans la référence à notre déontologie. |
Les avis sont également partagés et/ou prudents entre ceux qui voient l’expérimentation comme
La Médiation Familiale, aux risques du changement ?
Depuis 15 ans (naissance du D.E. MF et l’inscription dans la loi du recours possible à la MF), nous sommes contenus, et attachés à notre code de déontologie. Neutralité, impartialité, indépendance. Nous y puisons notre identité professionnelle, nous la revendiquons, nous la défendons. Travaillant au
Cf revue Tiers, numéro 18, « aux risques du changement ».
cœur du conflit, sur la relation entre les personnes, nous observons chaque jour combien l’exploration de leurs besoins, de leurs vécus, leur permet de soutenir leurs compétences, leur redonner confiance…quand c’est possible c'est-à-dire quand les personnes le décident, lorsqu’elles font le choix d’un dispositif qui les engage à une reconnaissance mutuelle de leurs compétences, malgré la douleur, la colère, le chagrin. C’est le sens de la libre adhésion et de l’engagement en médiation. Fondamentalement, c’est ce que vient questionner ce dispositif : le caractère obligatoire est antinomique de l’engagement libre et volontaire. Alors les entretiens d’information se transforment. Nous professionnels, en présentant la Médiation Familiale ET la TMFPO, pourrions entretenir la confusion dans l’esprit de certains. Parfois, ou souvent, nous ne le savons pas encore, la procédure masque le processus, et nous le regrettons. Mais aussi, à l’inverse, nous faisons déjà l’expérience que la procédure peut s’effacer au profit du processus et nous nous en réjouissons. Le changement suscite souvent de la peur, donc de la résistance. Nous en faisons l’expérience auprès des couples qui vivent le changement dans leur situation, nous en faisons aussi l’expérience face à de nouvelles pratiques. Je me souviens d’un temps pas si lointain où certains médiateurs familiaux D.E. ne reconnaissaient pas la médiation dans le contexte des situations de vieillissement. Je me souviens d’un temps plus proche encore où les praticiens de la médiation « parents/ado » étaient montrés du doigt par leurs détracteurs qui pouvaient les soupçonner d’être des hérétiques. Pourtant, l’expérimentation, parce qu’elle permet de faire preuve de créativité, parce qu’elle nous « oblige » à réaffirmer notre cadre de travail, peut aussi nous permettre de porter haut les valeurs de la médiation. Alors pourquoi ne pas tenter l’expérience de la tentative obligatoire de médiation familiale? Et réaffirmer par là même que nous sommes bien des médiateurs, bien plus que des conciliateurs ? Dans ce cas-là, il nous faut prendre le temps avec les personnes pour qu’elles perçoivent le bénéfice d’un travail sur leur relation différent de la saisine du JAF qui tranchera principalement sur le litige.
Cette attention à la relation est d’autant plus importante lorsque « l’entrée en médiation se fait par la porte de la justice, » le niveau de conflit étant alors généralement plus élevé et la communication parentale plus dégradée. Et cela peut fonctionner : la TMFPO permet déjà à des couples parentaux dont le conflit était ancien de trouver de nouvelles modalités d’organisation pour leurs enfants. La TMFPO, c’est aussi la mise en œuvre de l’article 1143, d’homologation d‘accords sans audience. A ce stade de l’expérimentation, nous avons identifié ce qui fait problème. Envisageons maintenant les possibles pour que la TMFPO se fasse réellement dans l’intérêt des « justiciables » et non pas au « bénéfice » d’une justice désargentée. Entre ce que ce que nous souhaiterions et ce qui sera, il y aura sans doute des écarts, l’important étant que nous fassions du commun et que nous, publics reçus en médiation et médiateurs familiaux D.E. soyons respectés et reconnus dans nos pratiques.
C FROGER
Médiatrice Familiale DE
Avril 2018.